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ROND-POINT ︎︎︎ performance, 2021
Rond-point prend pour point de départ un concours radiophonique ayant pour thème “le rond-point le plus laid”. À partir de ces émissions et des articles parus dans différents journaux régionaux à leurs sujets, j’ai réalisé un recueil de poèmes.

Ça faisait déjà un moment que je tournais en rond.
Tout a commencé quand, prétextant réfléchir pour ne pas faire la vaisselle, je m'étais mis à pivoter sur moi-même de façon à me donner l'air le plus pénétrant possible. À force de tourner, je m'étais enlisé dans ce tourbillon maléfique dénommé cerveau. De telle façon qu'il m'était de plus en plus difficile d'en sortir. Peut-être certains sont-ils plus vaseux que d'autres, la nature est injuste, son jugement est hâtif, et son naturel prévaut toujours sur l’entendement, d'où cette fatale inégalité entre les hommes. Le mien faisait partie de ces terres argileuses. Prisonnier d'une vache hublot dans la clairière qu'était alors ma vie, je frappais à la vitre de mon animal totem.
C'est en croisant le regard de cette vache, sur un rond-point de Vigneau à Biganos, dans le bassin d'Arcachon, qu'un déclic se fit. Quelque chose d'assez puissant pour me faire sortir de ma torpeur. De suffisamment important pour me redonner goût à l’action, qui se traduisit dans mon cas par la prise d’une photo. Je sortis de mon véhicule donc, pour venir au près de cette mimesis bâclée en stuc, dénommée Vache par un artiste sans scrupule. Son apparente docilité me fit m'en approcher pour la toucher. Son son creux me renvoyait au vide qui résonnait en moi. Par bénéfice du doute, un panneau nous confirmait de sa présence. Je le pris lui aussi en photo.
Seul sur cette île, je pouvais apprécier sa dimension, sa forme. Sentir les phares des voitures venir se poser sur mon corps. M'éclairer de la même façon que des spots éclairent une scène, isolant davantage l'acteur pour le faire ressortir du décor. Je me sentais enfin au centre, écouté des autres, important par la place occupée, place forte, inviolable car ouverte. Je décidai de m'allonger sur l'herbe dans cet enclos dénué de barrière, pour profiter de mon troupeau de gueules cassées, de mes « bêtes grévinisées », prenant à cœur le rôle d'éleveur que cet espace m'avait imparti.
Considérant à présent le rond-point comme une scène, il m'apparut avoir enfin trouvé le sens a priori insensé qui me poussait à tourner en rond. Je devais jouer la comédie. D’ailleurs, n’était-ce pas déjà ce que je faisais quand je tournais dans ma cuisine ? N’était-ce pas ce que le mouvement de la terre m’avait toujours enseigné, tout comme la communication verbale par ses expressions : « se tourner les pouces », « tourner la page », « tourner le dos », « tourner comme un lion en cage », nous avait injecté d’images obliques pour décrire les sentiments qui nous habitent. Définitivement résolu à jouer cette « comédie » et conformément à l’origine étymologique de ce mot : du grec kômê (= le village) et ôidê (= chant), soit « aller chanter dans les villages », je me mis à me vêtir de ce costume somptueux du rhapsode. Celui-là même que, dans la Grèce antique, ce troubadour enfilait pour aller de ville en ville, chanter des épopées et déclamer des poèmes. C’est ainsi que je pris la route à travers la France des ronds-points. Ainsi aussi qu'au lendemain, j’écrivis ce sonnet, quand le destin me mit nez à nez avec le giratoire de la taupe, en direction de Paris.
Avant hier, deux grandes taupes en granites
ont fait leurs apparition à Flins-sur-Saine,
remplaçant celle en polyester trop ancienne
qui selon la commune avaient mal viéllit.
« On a gardé des taupes, le maire y tenait »
nous confie cette adjointe à l’environnement
disant quand deux milles huit, il y a onze ans
« nous avions déjâ une taupe décorée »
Connue des voitures, la taupe du rond-point
de la taupe reste apprécié des Flinois
pour son coté « humoristique » pas commun
Son auteur, un artiste breton de Plérin
loue les vertus de cette roche plutonique
sur ce site industriel périurbain
Après avoir scandé ces quelques vers devant ces voitures pressées de retrouver la zone commerciale du village de la marque me faisant face, je me surpris à voir que malgré l’insuccès de ma prestation, certains de ces automobilistes me prirent en photo. Heureux de voir cette reconnaissance toute relative, je me demandais toutefois si leurs mouvements giratoires, en affectant leur équilibre, avaient affecté leur jugement. Je me consolais en me disant qu'un public indulgent est toujours à privilégier pour le jeune acteur.
Reprenant ma voiture, afin de me mettre dans la peau de mon public, je fis le tour de ce rond-point. En le contournant, je me demandais s’il n’existait pas un lien entre la vache d’Arcachon et la taupe de Flins-sur-Seine. Après tout, ils représentaient tous deux des animaux. Je me disais aussi qu'une croyance animiste était peut-être à l’origine de ces sculptures géantes, qui m’apparaissaient non plus comme de simples ornements mais comme des emblèmes. Piqué au vif, je pris mon smartphone, cherchant de quoi confirmer mon intuition. En tapant « rond-point » sur mon moteur de recherche, je m’étais retrouvé face à un glossaire de bêtes.
Je remarquais aussi, de par mon recul, que l’architecture du rond-point se rapportait non à une simple scène mais à celle du théâtre antique. Le rond représentant l’orchestra, et son point central, ici la sculpture, son autel. Je pensais à la thymélé, cet autel consacré à Dionysos, utilisé pour marquer le centre de la scène. Cette grosse taupe avait aujourd’hui pris la place de cette stèle ; traduction de notre civilisation peut-être moins subtile pour symboliser ce dieu, expression de la puissance du monde sauvage. Cette analogie me préoccupait. Je sentais dans ce rapport anachronique une issue vers laquelle mon intuition me dirigeait. J'étais dans ce que l'on nomme modestement un « tournant ».
J'en sortis en bifurquant vers la sortie Épône pour prendre la D92 afin de me rendre à Plaisir, où je devais passer la nuit. Bien résolu à tenir ma promesse, je m’installai sur le rond-point le plus proche. La scène se trouvait habitée là aussi par des animaux : trois oies en fonte. Je me surpris être, malgré la fatigue, suffisamment inspiré par ces oiseaux pour composer rapidement quelque chose....
Sur le rond-point du pré-Yvelines
d’un naturalisme bien concerté,
les oies, de leurs regard figé
domine le département des Yvelines
Sur le rond-point du pré-Yvelines,
celui où trois Oies sont disposés
sur un balcon de gravier ;
il y a un chevalet
Sur le rond-point du pré-Yvelines
- renouveau de l'art animalier -
un jeune artiste-peintre dessine
Sur le rond-point du pré-Yvelines
une ménagerie d'animaux
éveil quelque conducteur locaux
au génie du bronze et ces patines
Sur le rond-point du pré-Yvelines
où ces anatidés se décline
sous d’apparence assez anodine
un employé d'la ville jardine
Sur le rond-point du pré-Yvelines
- succursale de la belle époque -
Trois oies observent des pare-choc
qui de plein fare les illumines
Sur le rond-point du pré-Yvelines
là où ce trio d'oies évolue
il y'a une enseigne purpurine
qui annonce un hypermarché U
Sur le rond-point du pré-Yvelines
Sur l'île d'où nos oie (culmines)
et que lui l'humain doit contourner
Sur le rond-point du pré-Yvelines
qu'il m'est dû - je le crois - d'évoqué
et pour lequel j'entretien la rime
Sur le rond-point du pré-Yvelines
Sur la tête de nos Capucine
qui fleurissent en ce mois de juin
sur le rond-point du pré-Yvelines
Sur le rond-point du pré-Yvelines
à travers vitre d'une berline
Sur le rond-point du pré-Yvelines
les cheveux prenant l’air Yvelin
Sur le rond-point du pré-Yvelines
Sur le rond-point du pré-Yvelines
Sur le rond-point du pré-Yvelines
précisément sur le rond. Point.

En entrant dans la connivence du rythme imposé par ce poème, j'entrais aussi dans le sommeil. Exténué, je décidai de rester dormir aux pieds de ces oies. À défaut d'être doux, leur pelage en acier, tout opposé au confort d'un coussin en plumes d'oie, ne m'empêcha pas de dormir, bien au contraire. Un sommeil réparateur sut adoucir mes peines, qu'un réveil brutal allait quelques heures plus tard provoquer.
La raison en fut la présence d'un groupe de personnes que je pris d'abord pour des admirateurs, avant de comprendre qu'ils étaient venus occuper cette scène à des fins politiques. Je me demandais pourquoi le destin nous avait rapprochés. S'ils considéraient cet espace eux aussi comme une scène, ou si c'étaient les animaux qui les avaient attirés vers ce point. J'avais envie de déclamer quelque chose, pourquoi pas une élégie ; ces oies l'avaient bien mérité. Je me mis de nouveau à tourner sur moi-même, par automatisme.
Je me disais que ça faisait beaucoup. Beaucoup trop de points communs. Nous n'étions plus sur un rond, ni sur un point, mais sur une base, une base parallèle, une parabase. Par je ne sais quel atavisme, ces gens m’étaient, au sens propre, ce que leurs ancêtres grecs firent au sens figuré. Par digression, j'étais arrivé à cette conclusion car la parabase est dans l'Antiquité le moment où le chœur prend la scène à son compte, un temps d'arrêt dans le spectacle où le porte-parole de l'auteur, le coryphée, attise le public en faisant entendre ses remarques personnelles sur la politique, la religion, enfin tout ce qui se rapporte aux affaires de la cité. Je comprenais mieux la symbolique de leur costume, fait d'un simple gilet de couleur jaune, certainement en référence au dieu soleil. Tout s'imbriquait à présent dans mon cerveau. La terre se faisait moins meuble. Je pouvais enfin ouvrir la fenêtre de ma vache hublot pour chanter le soleil comme le coq au lever du jour.
Je partis accompagné de ce cortège dans le sud, vers une plus grande base où l'emblème était représenté par une mentide en fer forgé. Nous formions une véritable troupe à présent. Je me mis au centre, entrai dans le jeu aédique par quelques postures copiées sur des poètes pour compenser mon jeu d'acteur encore fade ; je mettais ma main dans la veste comme Hugo. Je demandai au chœur de reprendre une phrase tirée d'un article sur ce rond-point que j'avais soulignée. Cette phrase avait l'ambivalence de décrire ce que nous ressentions tout en étant destinée aux habitants de ce village. Village blessé par un suffrage de la radio RMC, lequel avait sélectionné ce rond-point comme faisant partie des 10 plus moches de France. C'est donc relativement à ce sentiment de lutte doublé de cruauté que me vint cette complainte, comme un dernier cri avant que cette voiture ne vienne percuter, dans un acte kamikaze, la mente pour la faire tomber, et me heurter par la même occasion.
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